🛫Édition indépendante : échanges entre la Belgique, le Bénin et le Maroc

Lors de mon sĂ©jour au BĂ©nin, j’ai eu la chance de rencontrer des Ă©diteurs bĂ©ninois ainsi que Malika Slaoui, directrice de Malika Éditions au Maroc. Elle Ă©tait venue assister au vernissage de l’exposition dans le cadre de son magnifique projet Nid d’Artiste, une collection de livres d’art dĂ©diĂ©s aux grandes villes africaines, Ă  leurs architectures et Ă  leurs artistes. L’occasion Ă©tait parfaite pour Ă©changer sur nos pratiques, nos fonctionnements, la co-Ă©dition, ses avantages et ses inconvĂ©nients.

Synergies et rencontres essentielles

Si l’édition indépendante belge et béninoise vit dans l’ombre de la grande sœur française, c’est néanmoins grâce à la France que ces synergies ont été possibles. Ce réseau s’est tissé lors du fellowship organisé par le BIEF à Paris, où j’ai également pu rencontrer l’Alliance internationale de l’édition indépendante. Il est aussi le fruit d’un accueil chaleureux de l’Institut Français à Cotonou, qui nous a invitées pour le lancement du livre. Ces initiatives permettent aux éditeurs de se découvrir, de se soutenir et, qui sait, d’envisager des collaborations durables.

C’est Rodrigue Atchaoué, des éditions Savanes du Continent, qui a organisé la rencontre avec plusieurs éditeurs béninois. Elle s’est déroulée au Lab’ICC (Laboratoire des Industries Culturelles et Créatives) à Cocotomey, un espace dédié à l’innovation et à la création. Cette discussion m’a confirmé ce que j’avais déjà observé lors du fellowship : les éditeurs indépendants belges et béninois (et plus largement du continent africain francophone) sont confrontés aux mêmes difficultés.

Parmi ces dĂ©fis, on retrouve la prĂ©caritĂ© de beaucoup d’éditeurices indĂ©pendant·es, qui ne peuvent pas vivre de leur seule activitĂ© Ă©ditoriale. Les problĂ©matiques de diffusion et de distribution restent centrales, tout comme un certain dĂ©sintĂ©rĂŞt du public pour le livre, faute aussi de moyens pour s’en procurer. Ce constat soulève pour moi une question cruciale : n’existe-t-il pas des initiatives publiques Ă  mettre en place pour faciliter l’accès aux livres Ă  moindre coĂ»t ? Je pense aux chèque-livre en France par exemple ou bien encore des achats massifs via subsides par des entitĂ©s qui pourrait les redistribuer Ă  moindre coĂ»t en collaboration avec des associations d’éditeurices du territoire, comme par les cpas pendant la crise covid ?

Autre problĂ©matique partagĂ©e et très souvent pointĂ©e par l’association de l’Ă©cologie du livre: la surproduction et les livres produits en (trop) grandes quantitĂ©s par des « usines » Ă  livres qui circulent Ă  des prix dĂ©fiant toute logique et qui inondent les librairies. Ces prix, bien infĂ©rieurs au coĂ»t rĂ©el de fabrication dans des conditions Ă©thiques, non seulement donnent l’impression que nos livres sont « chers », alors qu’ils sont simplement au prix juste pour rĂ©munĂ©rer toute la chaĂ®ne du livre : auteurs, Ă©diteurs, diffuseurs, distributeurs et libraires, mais en plus invisibilisent une production locale diversifiĂ©e et moins “bankable”.

En Belgique comme au Bénin, il faut aller chercher le lectorat, lui amener le livre et organiser des activités autour pour le rendre visible. Il faut aussi se battre pour être reconnu et accepté sur son propre territoire. Comme le disait un type il y a 2000 ans : nul n’est prophète en son pays… On a toujours l’impression que ce qui vient d’ailleurs est meilleur, alors qu’il y a de quoi être fier de nos productions ! La qualité est là, et nous n’avons pas à rougir de ce que nous faisons.

Preuve en est, ce qui m’a marquée, c’est l’unanimité des réactions autour de la version béninoise du livre En mâle d’émotions. Que ce soit les éditeurs, les libraires ou les autorités rencontrées, la réaction était souvent la même : Waouw, ça a été fait ici, au Bénin ? Ce n’est pas un livre belge ?! Ce type d’étonnement en dit long sur la perception et la valorisation de la production locale et mon confrère Rodrigue était très fier de montrer qu’il ne fallait pas avoir peur de viser l’excellence.

Autre point Ă©tonnant : je pensais que produire un livre au BĂ©nin coĂ»terait moins cher qu’en Belgique, et pourtant, ce n’est pas le cas. Le prix du papier y est encore plus Ă©levĂ©, ce qui rend la production locale complexe et le soutien encore plus nĂ©cessaire !

Malika Slaoui m’avait confié que les co-éditions avec de grosses structures européennes étaient souvent à sens unique, déséquilibrées dans la répartition des tâches et des bénéfices. Heureusement, avec Savanes du Continent, notre structure et nos conditions locales étant relativement semblables, nous avons pu établir une co-édition équitable, chacun apportant son savoir-faire et ses ressources.

Enfin, autre sujet de prĂ©occupation commun : l’intelligence artificielle et son impact sur les auteurices et les Ă©diteurices, et le plagiat dans l’édition papier et encore plus numĂ©rique. Des thĂ©matiques autour desquelles on  aurait pu passer des heures de discussion !

Et après ?

Seul regret de ce voyage ? Ne pas avoir pu visiter d’imprimerie, ni rencontrer d’éditrice béninoise. Mais l’appel est lancé ! L’édition indépendante belge et béninoise a beaucoup à apprendre l’une de l’autre, et les opportunités de collaboration sont bien réelles.

Ce séjour m’aura confirmé une chose : nous avons besoin de travailler ensemble, de créer des ponts et de tisser des synergies pour faire exister nos livres. Parce que si on attend que d’autres le fassent pour nous, on risque d’attendre longtemps…

*Sur la première photo CĂ©cile Quenum et moi sommes en compagnie de Malika Slaoui (Malika Editions) et Thomas FourrĂ©-Spitzer (homme aux nombreuses casquettes passionnĂ© d’Ă©dition et d’environnement).

*Sur la deuxième photo, Rodrigue AtchouĂ© (Savanes du Continent), Herman Yao Kouassi, Marius Codjo Bligui (Edition Re-CrĂ©ation), Esaie corneille Anoumon (libraire itinĂ©rant, diffusion et distribution), Florent Eustache Hessou (Ă©ditions Ori), ThĂ©ophile Sewanou (Editions Afrik’Arts Stars), Camille Akotègnon Segnigbinde (Editions Encres Universelles), Sadlay Hounyeme (Les Ă©ditions Afrique Eclat).

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